Je traversais la salle commune des Delta sans trop faire attention aux personnes présentes, couchés de parts et d’autres sur les canapés voir même sur les tapis tâchés de bière et d’autres trucs dont je ne voulais connaître la provenance. L’esprit embrumé, je pris une bouteille au hasard sur la table et sortis dans le jardin, laissant la porte ouverte derrière moi, histoire d’aérer la pièce qui semblait avoir vécu un cataclysme. Je m’en foutais du désordre, je dirais à bizut de faire le ménage. Lentement je me dirigeais vers l’un des bancs dont la vue donnait juste l’ensemble du jardin et me laissais tomber dessus d’un soupire. J’étais complétement crevé après avoir dormi quelques heures seulement mais portais néanmoins la bouteille à mes lèvres, avalant une bonne rasade de téquila. Ce n’était pas le rêve niveau petit-déjeuner, mais de toute manière, j’étais incapable d’avaler quoique ce soit de solide : j’avais la gueule de bois. La bouteille entre les jambes, je parcourus le jardin du regard. Ciel quelle putain de soirée ! Il y avait des gobets absolument partout, et même une tête de cheval, pas un vrai, un costume. Ou avaient-ils trouvé ça ? Ça devait être une mascotte d’un club sportif du coin, je ne sais pas. Du papier toilette avait été jeté à travers les arbres, formant d’étrange guirlandes roses, tellement classes. C’était vraiment le bordel absolu. Mais la soirée en avait valu le coup et je m’étais occupé moi-même des invitations cette fois. Le souvenir cuisant de ma soirée Road Trip me revint en tête. J’avais tout préparé, pensé à tout, sauf à inviter les gens. Merde depuis quand avais-je besoin de les prévenir pour que la soirée soit officialisée ? Par chance, j’avais trouvé un subterfuge pour ne pas perdre la face, mais il en avait été moins une et pour être honnête, cette erreur m’avait mis une véritable claque. J’étais sensé être le roi de la nuit et j’avais simplement compté sur ma seule notoriété pour que le bruit se fasse. Il fallait que je me reprenne et vite. Je m’allumais une cigarette, histoire d’être sûr que je me sentirais mal quand quelqu’un apparut sur le seuil dans mon dos. Probablement quelqu’un qui venait d’émerger de son coma, tant mieux pour lui. Curieux malgré tout, je tournais la tête pour voir avec surprise Jessie. Celle-ci ne semblait pas ravie de l’état du jardin, mais contre toute attente, au lieu de se mettre à criser, elle vint s’assoir à mes côtés. Encore un peu dans les vapes, je restais silencieux, le regard au loin quand j’aperçus des jambes dépassant d’un buisson, des jambes vêtues d’un jean tâché ainsi que d’immenses Converses noires. Je me penchais légèrement vers Jessie, désignant le mec en question de ma bouteille. « Tu crois qu’il est mort ? »

La soirée ROAD TRIP dans les chambres du campus avait été une France réussite et pourtant, elle aurait pu être la pire soirée de ma vie (et celle des Delta), et je dois dire que sans mon ingéniosité et mon imagination, jamais elle n’aurait pu être sauvée. Bêtement, j’avais pensé que les autres sauraient quoi faire pour faire circuler l’information mais non, après toutes les soirées déjà organisées, ils n’avaient toujours pas compris comment je fonctionnais. Merde, est-ce que je devais aussi leur torcher le cul ou ils sauraient se débrouiller ? Non vraiment, j’étais assez énervé ces derniers temps, énervé après ces idiots incapables d’être autonomes cinq minutes mais aussi contre moi-même qui les avais laissé se débrouiller seuls, qui leur avais laissé trop d’autonomie. Excès de confiance. A vrai dire, j’aimais l’idée d’être le leader des Delta, mais moins celle de devoir les materner. On avait passé l’âge des punitions et mises au coin, non ? Apparemment non. C’est ce que pensait Jessie qui me talonnait de près pour prendre ma place à la tête de notre confrérie, comme si elle avait l’étoffe d’un chef, laissez-moi rire ! Certes, elle avait l’autorité et l’organisation pour mais tout de même, elle n’avait pas mon charisme ni ma popularité, non ? Pour régner, il faut séduire. Elle avait beau être jolie, cela ne suffisait pas à motiver la cohésion d’une confrérie, il fallait quelqu’un avec les épaules assez larges pour assumer le meilleur et le pire d’une telle fraternité. Bref, Jessie, reste hors de mon chemin ! Foutue loi de l’attraction, je pensais à Jessie et la voilà. Elle me rejoignit sur la terrasse tandis que je l’observais un instant : fraiche et pimpante, les joues légèrement rosies par le froid. La tête de quelqu’un qui a passé une bonne nuit. Moi je n’avais pas suffisamment dormi, couché à quatre heures levé à huit. C’était un exploit, mais j’avais des cours de prévu cet après-midi, sinon je n’aurais pas pris la peine de me lever. Mes résultats scolaires n’étaient pas vraiment excellents ces derniers temps d’ailleurs et je me prenais en général dix minutes avant le cours pour faire les devoirs tandis que je soudoyais quelques têtes d’ampoule pour rédiger mes dissertations quand je ne trouvais pas le temps (ou la motivation) pour les faire moi-même. Heureusement que je pouvais compter sur mes talents naturelles pour assurer un minimum en classe et je dois admettre que je perdais souvent de vue la raison de ma venue à Harvard, genre j’étais venu juste pour guider les Delta. Je portais la cigarette à mes lèvres, me plongeant à nouveau dans la contemplation du jardin-décharge. Ils avaient vraiment fait un carnage. Avec une pointe d’humour désabusée, je lui désignais le mec encore endormi (ou mort donc) dehors. Sérieusement ? J’arrivais aisément à me rendre malade, mais pas au point de dormir dans le jardin, pas fin novembre. J’haussais les épaules. « Il pourrait l’être, il a fait froid cette nuit. » Cela m’aurait tout de même arrangé qu’il évite de mourir parce que l’organisateur ici, ça avait été moi, une fois de plus. Je ne savais pas trop si je risquais des poursuites ou pas pour ça. En revanche, j’eu un petit rire à sa question. Nettoyer ? Et puis quoi encore ? « Tu plaisantes ? Je préfère attendre que quelqu’un en air marre avant moi… ». Il y avait toujours des bonnes âmes qui finissaient par le faire, ou les équipes d’entretien de l’école. Je lui tendis la bouteille tout en me doutant qu’elle n’en voudrait pas. Je soupirais avec un sourire en coin, ne cherchant même pas à cacher ma provocation. « Parfois je me demande ce que tu fous chez les Delta. ».

J'organisais des soirées à tour de bras depuis quelques temps, au point ou parfois, je n'en trouvais plus le temps de dormir ou même faire mes devoirs et pour être honnête, je ne pouvais pas jouer à Dieu encore indéfiniment à me jouer de la fatigue et de mon talent. Mes notes commençaient d'ailleurs à s'en ressentir et plusieurs professeurs m'avaient fait part de leur inquiétude. Ces derniers, malgré ma concentration de plus en plus limitée en classe, se montraient étonnamment compréhensifs à mon égard et je leur en étais vraiment reconnaissant. J'étais donc sur la sellette, de tous les points de vue. Jessie ne perdait d'ailleurs pas la moindre occasion pour grapiller quelques points au sein de la confrérie et tenter un jour de me destituer de mon statut, même si à mes yeux, elle n'en avait pas la moindre chance: elle avait bien trop mauvais caractère. Je ne lui ferais donc aucuns cadeaux. Mais ce matin, nous savions tous deux qu'elle avait l'avantage sur moi et pourtant, elle n'en profita pas outre mesure, ne me forçant pas trop à réfléchir à ce que je lui rétorquerais ensuite. Il en allait de mon égo que de ne jamais lui laisser le dernier mot. Comme un gamin. Mais c'était plus fort que moi, je ne pouvais m'en empêcher. Finalement, Jessie et moi étions de purs opposés, elle n'était pas friande de fêtes alors qu'elles étaient ma raison de vivre, elle n'admettait que certains élus à ses côtés alors que de mon côté, j'étais toujours entouré d'X ou Y bref, nous étions des contraires et pourtant, malgré cette constante opposition, il m'était difficile de dire que je la détestais. Non, elle m'énervait juste et me gênait. Je souris à sa réplique virulente et me tournais avec elle avec un vague air joyeux sur le visage. "On verra bien qui craquera en premier de nous deux". Je m'amusais à la provoquer, mais ce n'était pas méchant. Pour l'instant. Je portais la cigarette à mes lèvres, marquant ainsi un certain suspense. "Parce qu'ils m'ont choisi, je leur vend du rêve." Je me tournais vers elle en levant un sourcil pour lui expliquer sans y mettre les formes. "Ils veulent quelqu'un qui en jette, pas quelqu'un qui fait la gueule. Le jour ou ils voudront avoir l'air d'être une confrérie de bêcheurs, là ils feront appel à toi, en attenant pour l'instant ils veulent avoir l'air d'être les dieux de la nuit. Je fais l'affaire, c'est tout." Sur cette analyse forte synthétique de mon point de vue sur la question, je portais la bouteille à mes lèvres pour une nouvelle gorgée. "Sans rancune Jessie, tu peux toujours faire femme de chef si tu veux" Je plaisantais.