Jessie se rendait à la bibliothèque, où elle avait donné rendez-vous à Kate. Jessie avait pris cette initiative en s'apercevant que Kate ne faisait plus grand chose en cours. Ce n'était pas étonnant, vu la vie sociale qu'elle menait, mais ça n'empêchait pas que Jessie s'inquiétait pour la bonne continuation des études de sa meilleure amie. Une fois sur place, elle s'installa au bureau qu'elle préférait, sachant que Kate aurait l'idée de l'y retrouver.
Elle regarda sa montre, et souffla : elle était arrivée en avance. Elle prit le temps de feuilleter des livres, s'arrêta plus longuement sur Hamlet de Shakespeare, qu'elle appréciait tout particulièrement, et avait lu une bonne dizaine de fois. Ce n'était pas rare pour les intellos de Harvard, mais elle était persuadée d'avoir saisis mieux que personne l'essence du livre.
Jessie entendait les voix autour d'elle, tendant l'oreille à l'affut de celle de Kate.

-Elle va arriver en retard...Qu'est ce qu'elle ferait sans moi, je me le demande...pensa-t-elle.

Jessie faisait souvent mine de se plaindre des enfantillages de Kate, mais appréciait réellement la franchise de cette dernière, son honnêteté, ou même plutôt sa fidélité. C'était de ce type de personne dont elle avait besoin, et pas de tout ces autres hypocrites de l'université, pris dans des batailles de réputation. Ça lui changeait aussi beaucoup la vie d'entendre quelqu'un de positif et d'énergique lui communiquer sa joie. Quelqu'un pour lire avec elle en silence, pour discuter de choses un peu plus évoluées, pour écouter de la bonne musique à longueur d'heures sans se lasser.
Seulement, en tant qu'élève de 5ème année, elle savait que Kate, qui elle était en seconde année, ne devait pas se laisser distraire. Or, c'était son principal défaut.
C'était à Jessie de la reprendre en main.
Prise de détermination, avec l'impression que le temps passait soudainement très vite, elle ne pu s'empêcher de grogner, exaspérée :

-Mais quand est-ce qu'elle va arriver, celle là ?



HS : (Alors, toi qui voulais poster :p ne perdons pas de temps !)

Kate traversa en courant la bibliothèque, essouflée mais heureuse. Elle allait en effet rejoindre Jessie, qui était sans doute la personne à qui elle tenait le plus à Harvard. Ce qui n'était pas peu pour quelqu'un comme Kate. Elle avait été réellement touchée par l'offre de Jessie, bien qu'elle estimait qu'elle n'en avait pas besoin. Bien sûr que ses notes baissaient, mais elles étaient encore loin d'être catastrophiques, et s'était simplement une "période" qu'elle traversait. Un petit passage à vide en matière de cours. Voilà tout. Comment était-il d'ailleurs possible de ne pas lâcher de temps en temps ses bouquins dans l'univers de fête d'Harvard ?
Elle s'arrêta soudainement, en se souvenant que Jessie s'asseyait toujours à la même table. "Un rat de bibliothèque" pensa Kate intérieurement en revoyant clairement toutes les fois où elle avait retrouvé Jessie, le nez plongée dans un bouquin. Or, c'était exactement comme ça qu'elle la trouva encore une fois : Shakespeare, Hamlet. Oh, du réchauffé. Jessie devait avoir des préoccupations importantes pour être soudainement envahie de nostalgie de cette manière.

-Désolée du retard, j'ai rencontré un mec super mignon en venant. Il m'a laissé son numéro, regarde ! lâcha Kate sans respecter les règles essentielles d'une bibliothèque.

Elle posa son sac sur la table avec négligeance et s'avança vers Jessie pour la prendre dans ses bras. Elle remarqua le regard sévère de Jessie, mais n'y prêta pas plus attention. Il y avait longtemps qu'elle ne voyait plus dans les yeux froids de son amie qu'un bleu rassurant.

-Alors, tu veux réellement rajouter les devoirs de cette pauvre Kate à tes propres révisions ? gémit-elle.

Kate s'assit, nonchalante. Elle n'avait pas du tout envie de travailler, et espérait plutôt discuter avec Jessie. Passer un bon moment entres amies.
Elle sourit tendrement en réalisant que Jessie lui rapellait presque sa mère. Sauf que sa mère n'avait pas la même capacité à la faire obéir...

Jessie sortit son regard de son livre quand elle entendit la voix de Kate près d'elle, et lui répondit en l'enlaçant :

-Très intéressant...C'est pourtant bien toi qui déprime parce qu'un certain garçon, dont je tairais le nom, ne fait pas attention à toi. Entre nous, ce n'est pas comme ça que tu l'interesseras. Enfin, je dis ça, mais c'est ton affaire après tout. Quand tu viendras me pleurer sur l'épaule comme une gamine de dix ans...

Jessie n'en rajouta pas plus, sentant qu'elle n'aurait pas la force de relancer le sujet Gael avec Kate, qui était toujours éprouvant. N'oubliant pas ses priorités, elle commença à sortir quelques stylos, un carnet de note, un cahier...bref, tout ce dont elle avait besoin pour tenter d'inculquer quoique ce soit à Kate. Elle en avait la ferme intention, maintenant qu'elle avait fait le déplacement jusqu'ici. C'était triste de voir quelqu'un d'intelligent comme Kate se perdre dans des mauvaises habitudes qui, elle le savait, ne feraient que prendre une part de plus en plus grande dans sa vie au fur et à mesure de l'année. Elle ne supportait pas de la voir déstabilisée, naïve comme elle était, par des préoccupations aussi stupides que les garçons (dont ce Gael qu'elle maudissait), les fêtes dont elle revenait toujours tard, les sorties avec leurs mauvaises fréquentations...

-Tu sais bien, Katy, que j'aurais toujours du temps pour toi. C'est ça, les amies. Tu ferais pareil pour moi nan ? J'espère bien.

Elle resta un instant à regarder Kate, n'attendant pas réellement une réponse. Elle-même n'estimait pas avoir besoin d'aide. Et surtout ne doutait pas que Kate était prête à l'aider.

-Bon, ne perdons pas de temps. Est-ce que t'as des devoirs en retard, déjà ? demanda-t-elle sans faire attention à l'air mou que Kate affichait. Je ne peux pas vraiment t'aider, puisque je n'ai jamais fait de psychologie, mais, je compte bien te faire bosser, ma grande !

Kate perdit soudainement son sourire éclatant en entendant Jessie parler de Gael. "Encore un sermon..."

-Jessie...! J'ai le droit de vivre aussi ! Ne t'inquiète pas, je n'oublie pas Ga...Enfin, je n'oublie pas "tu sais qui", seulement, en attendant que Bouddha accomplisse mes voeux, faut bien que je profite de ma jeunesse...Surtout que je ne fais rien de mal : je les oublie le lendemain ! Tu sais bien que je suis quelqu'un de romantique...à ma façon. Hey, mais pourquoi je me justifie ? Tu me dis toujours de passer à autre chose, et tu veux que je lui reste fidèle comme une bonne soeur ?

Kate vit que Jessie ne comptait pas parler sérieusement du sujet. Et elle s'en estima heureuse : elle détestait comparer son point de vue avec Jessie en ce qui concernait Gael. Mais elle ne lui en voulait pas d'avoir un avis si obtu. C'était pour son bien, et Kate elle-même se rendait compte que son comportement pouvait exaspérer. Elle ne réfléchissait pas beaucoup quand il s'agissait de relations humaines, surtout quand ces même relations concernaient de beaux jeunes hommes. C'était même rassurant de se dire que Jessie était là au cas où. Mais, irrémédiablement, celle-ci finissait par endosser le rôle d'une moraliste sévère et frustrée.

-Bien sûr que je serais là, gloussa Kate, surprise par tant de solennité. Sauf que je vois mal comment je pourrais réussir dans quelque chose où tu aurais échoué. Donc évite au maximum de te créer des embrouilles.

Elle laissa le regard de Jessie passer sur elle sans réellement y faire attention. Elle savait que rajouter un sourire à ce qu'elle venait de dire n'était pas nécessaire, et surtout que Jessie donnait plus d'importance aux mots qu'aux gestes. Elle savait aussi que ce qu'elle venait de dire était la vérité pure et dure : jamais une fille aussi puérile que Kate n'aurait quelque chose à apporter à quelqu'un comme Jessie.

-Euh...j'ai bien quelques petits trucs que j'aurais du rendre la semaine dernière...répondit Kate, le menton sur son poing fermé, les yeux fuyants. Mais...Bon, okay, okay, je m'y met...

Elle savait que cela ne servait à rien de répondre à Jessie, et qu'elle finirait par obéir de toute façon. Il s'agissait juste de choisir la manière douce ou la manière forte. Elle choisissait la manière douce. Kate sortit donc son ordinateur portable, et l'alluma, en voilant toutefois le plus possible son regard d'un air éprouvé.

Jessie respira profondément, sentant qu'elle ne pouvait pas passer à autre chose après ce que Kate venait de dire. Elle commença doucement à parler mais comprit que quelque chose en elle était à deux doigts de s'échapper de sa bouche violement :

-Je n'ai jamais dis ça, Katy, j'ai juste dis que tu devrais éviter de jouer à ce jeu-là. Je ne peux pas dire que j'apprécie particulièrement Gael, qui n'est rien qu'un bellâtre au cerveau lobotomisé si tu veux mon avis, mais j'apprécie encore moins tous ces jolis coeurs avec lesquels tu t'amuses, c'est le cas de le dire. Alors quitte à te voir faire n'importe quoi, concentre toi sur LUI, et tente au moins d'aller le voir, au lieu de te rendre malade dans ton coin, à déverser tout ton désespoir sur moi ! Tu vois, rien que d'en parler, ça m'exaspère !

Jessie sentit qu'elle manquait de souffle, qu'elle avait du mal à retenir des mots meurtriers. C'était une part de son caractère : elle démarrait toujours au quart de tour. Le problème était que Kate était particulièrement sensible aux disputes, et qu'elle risquait de la blesser. Depuis qu'elles étaient amies, Jessie avait appris à se maîtriser et à être plus tolérante envers ce qui la rendait autrefois très cynique. Les histoires de coeur par exemple. Avec Kate, elle était servie.

-Oui, c'est sûr que comparé à toi, je n'ai pas d'embrouilles, dit-elle en prenant un air détaché. Il faut dire que je prend la peine de les éviter. Je ne tombe pas amoureuse de mec superficiel et...

Jessie réalisa qu'elle recommençait à parler du sujet sensible. Difficile de perdre ses mauvaises habitudes....

-Depuis une semaine ? Bon, c'est pas génial, mais ce n'est pas pire que ce que j'imaginais.

Jessie eu un sourire vainqueur en voyant Kate se mettre au travail, et se dit que finalement, ça n'allait pas être si dur de faire retrouver son niveau à Kate.

Kate plaqua ses mains contre sa bouche, catastrophée :

-Tu as dit Gael ! Mon dieu mon dieu mon dieu tu as dit Gael, Jessie ! J'espère que t'es contente, on est dans le silence de la bibliothèque en plus, tout le monde a du entendre...

Kate en oublia tous les mots durs que Jessie avait pu dire. C'était peut-être mieux comme ça; sûrement même, car Kate supportait mal le moindre mot déplacé sur Gael, et la moindre allusion à son propre caractère. Elle s'estimait incompréhensible et détestait qu'on la juge par les apparences. Chaque personne avait ses travers, ses propres aspirations secrètes. Il y avait d'ailleurs pire qu'elle, car au moins Kate se félicitait de ne pas être hypocrite, et faisait toujours preuve de tolérance.
Elle se demanda si les gens avaient pu comprendre quoique ce soit ? Il devait y avoir des centaines de Gael rien que dans Harvard, en admettant que Kate ne pouvait pas être amoureuse de quelqu'un d'extérieur à l'université. Non pas qu'elle avait honte de ses sentiments, mais elle ne voulait pas que quelqu'un d'autre, ou même le blog de "mademoiselle", puisse l'apprendre à Gael avant elle.

-Jessie, ton problème à toi c'est justement que tu n'aimes personne, dit-elle en sentant son coeur battre encore fort.

Kate commença à prendre des notes pour mieux baisser les yeux et éviter ceux de Jessie, dont elle se doutait qu'ils allaient redevenir meurtriers. Pourtant, elle n'avait pas dit cela pour l'énerver, ni pour lui répliquer quelque chose à tout prix. Sa voix avait d'ailleurs été très douce, presque triste. Après tout, voir son amie extérioriser sa sensibilité lui aurait plu, et elle savait qu'elle méritait un garçon bien, quelqu'un pour enfin prendre soin d'elle autant qu'elle prenait soin des autres. A la place, le seul homme qui "préoccupait" Jessie était son cousin, qu'elle détestait par dessus tout. Un vrai gâchis de se bloquer à une telle haine des hommes pour une femme aussi jolie que Jessie.

-Je reste sérieuse, tu sais. Je veux pouvoir retourner chez mes parents aux prochaines vacances sans me faire incendier.

Kate réussit à éclater de rire. Un rire très nerveux, naturellement, mais qui résonna quand même assez pour alléger le poids qu'elle avait sur le coeur.

-Oh, non... dit Jessie qui déglutit avec difficulté. Ah...mais c'est de ta faute, tu sais très bien qu'il ne faut pas me parler de lui !

Jessie eu cette première réaction plus par déception envers elle-même que par colère envers Kate. Elle s'en voulu terriblement, en se rendant compte qu'elle venait de briser un secret que Kate lui avait avoué. Kate avait eu confiance en elle, et de toute évidence avait eu tord. Cependant il était trop tard, tout le monde avait entendu dans la bibliothèque. Elle ne pouvait rien réparer, et cette idée calma tout de suite sa colère pour du remord. Ce qui était encore pire.

-Je m'excuse Kate, bafouilla-t-elle. Je n'ai vraiment pas fait exprès de le dire aussi fort. C'est de ma faute, totalement de ma faute. Mais vois le bon côté des choses : tu n'arrivais pas à assumer tes sentiments, tu vas enfin pouvoir en venir à bout. Maintenant, si les choses tournent mal, tu pourras te venger sur moi, je ne t'en voudrais pas. Mais comment peux-tu être certaine que je n'aime personne ? Peut-être que je n'ai pas envie de le dire tout simplement !

Jessie sentait la situation dégringoler sans comprendre le déroulement logique des choses. Kate ne semblait pas lui en vouloir, et finalement ces mots allaient peut-être avoir un effet bénéfique sur son amie, mais toutes ces pensées n'arrivaient pas à la soulager. Quelque chose en elle devenait incontrôlable : elle avait toujours été d'une grande sensibilité. Elle sentit soudainement le besoin d'être seule, de ne plus voir personne autour d'elle. Elle ne voulait plus avoir à se justifier; elle n'aurait sans doute pas pu le faire, submergée par les évènements. Elle voulait prendre le temps de réfléchir, de penser à la situation qu'elle avait produite. Sans prévenir, elle prit ses affaires, les rangea, et jeta juste un dernier regard à Kate :

-Si tu veux être réellement sérieuse et rendre fiers tes parents, essaye de te concentrer plus sur ton travail.

Jessie commença à partir, essayant de ne pas courir tout en marchant le plus vite possible. Elle ne voulait plus que rejoindre sa chambre calme, et continuer son travail comme elle le faisait d'habitude. Elle sentait les larmes noyer peu à peu ses yeux. Une fois sortie de la bibliothèque, ce fut pire : le temps annonçait de la pluie et renforça sa mélancolie.

Kate resta abasourdie :

-Mais...

Elle n'arriva pas à parler. C'était très révélateur de sa part. Kate parlait toujours, même quand elle n'avait rien à dire. Et à un moment pareil, elle était à court de mot. Elle se contentait d'écouter, d'essayer de saisir ce que voulaient dire les paroles de Jessie.

-Mais Jessie, qu'est ce que tu racontes ? C'est pas grave, pas grave du tout...Ne t'excuse pas comme ça ! Hé...je...!

Kate, encore une fois, se retrouva sans voix, et regarda Jessie ranger ses affaires, totalement défaite. Elle ne comprenait pas la réaction de son amie : bien sûr que ce n'était pas la plus belle chose qu'elle avait fait de toute sa vie; mais Kate ne saisissait pas la raison d'un tel remord. Elle était, à vrai dire, encore un peu sous le choc. Si bien qu'elle n'avait pas du tout l'impression d'avoir subi une injustice, bizarrement. Elle ne savait pas si elle devait en vouloir à Jessie, ou si la révélation de son secret au grand jour n'était pas plutôt un soulagement. La situation n'était pas encore éclaircie, toutefois Jessie ne pouvait pas comprendre, ou ne voulait pas tout simplement. Elle partait.

-Ce n'est pas en me laissant comme ça que tu me donneras envie de travailler ! Jessie, j'ai besoin de toi, Jessie ! appella Kate, se levant de sa chaise. Jessie, on s'en fout ! Ce secret, c'était rien, j'assume ! Regarde, écoute ! Hé, tout le monde ! hurla-t-elle dans ses mains jointes, en direction des gens autour d'elle. J'aime Gael Eatson, vous entendez ?! Et grâce à Jessie Kriesel, je l'assume enfin ! Jessie ?!

Kate continua à l'appeller jusqu'à ce qu'elle la perde de vue. Tout le monde la regardait, mais elle n'en avait absolument rien à faire. Ce qu'elle voulait, c'était Jessie. Lui prouver qu'elle n'avait rien fait de mal. Elle commença à se maudire, à maudire l'importance qu'elle donnait à des gens avec lesquels elle ne parlait pas, ou alors très peu, alors que Jessie, elle, était tout près. Pourquoi n'arrivait-elle pas à lui rendre un peu de ce qu'elle lui donnait ? Pourquoi lui avait-elle pourrit la vie avec ses histoires de cœur ? Elle aurait du comprendre que Jessie n'aimait pas Gael et détestait en entendre parler. Peut-être qu'elle lui donnait trop de responsabilités, peut-être qu'elle comptait trop sur elle ? Mais déjà, comment la conversation avait-elle pu tourner comme cela, en si peu de temps ?
"Et mer** !" (ceci n'est pas le mot merci). Des mots ravageurs éclatèrent en elle, tandis qu'elle se levait précipitamment pour ranger elle aussi ses affaires.

-Quoi ?! dit-elle en voyant que tout le monde ne la quittait pas des yeux.

Sans prendre en compte les réactions multiples qui se présentaient à son passage, elle sortit, abattue et les jambes flageolantes, de la bibliothèque.